Accouchement insolite
Un gémissement m’a réveillé. Non, ce n’était pas celui de mon voisin de lit. C’était le mien qui m’a fait sursauter. Je sortais juste d’un rêve, un drôle de rêve : Monsieur Arany avait décidé d’accoucher chez lui. Monsieur Arany habitait dans une grosse maison, il avait eu une exploitation agricole faite de vaches salers, rouges, aux longues cornes recourbées. Son taureau n’était pas toujours sympa et nul ne se serait aventuré dans les grands prés qui bordaient cette petite route souvent enneigée en hiver. Il possédait aussi de beaux chevaux comtois qui reproduisaient leurs poulains pour le plaisir des yeux au printemps. Puis ses vaches étaient parties en camion un jour, j’avais préféré ne pas savoir où ! L’heure de la retraite avait sonné et Monsieur Arany n’avait plus gardé que ses chevaux qui l’occupaient vraiment puisqu’il avait décidé de se mettre à l’attelage.
Monsieur Arany était marié avec une femme, comme il se doit, une maîtresse d’école qui avait enseigné le français et la mathématique à certains de mes enfants, ainsi que les bonnes manières prônées par un vieil enseignement primaire de l’époque. Madame Arany avait malheureusement contracté une sale maladie, une de celle qui vous ronge petit à petit les articulations et qui vous laisse souvent grabataire aux derniers jours de votre vie. Monsieur et Madame Arany vivaient donc à l’écart du village, au milieu de leurs prés où paissaient leurs équidés et galopaient leurs petits poulains. Leurs enfants leur rendait souvent visite ainsi que les petits enfants que Madame Arany s’évertuait à garder certains mercredis malgré son handicap. Et pourtant, Monsieur Arany avait décidé d’accoucher chez lui et c’est sans doute ce qui avait provoqué mon gémissement nocturne.
Je me suis retournée dans mon lit, j’ai remonté ma couette bien décidée à retrouver un sommeil rapide. Un second gémissement m’a fait sortir de nouveau de chez Morphée. Monsieur Arany, malgré mes injonctions était toujours décidé à accoucher chez lui. Mais rien n’y faisait, mes arguments restaient sans réponse. Monsieur Arany était décidé, malgré l’isolement, à accoucher chez lui, dans sa maison, au milieu de ses bêtes. Son ventre avait déjà une belle ampleur.
Ras le bol, j’avais sommeil et étais bien décidé à mettre un terme à ce rêve sans queue ni tête. Mais là non plus, rien n’y faisait. A chaque fois que je m’endormais, je gémissais et Monsieur Arany réapparaissait devant moi et, de nouveau, j’argumentais vainement.
Comment se séparer d’un rêve qui vous obsède. Dans mon cas ce ne fut pas trop difficile… Monsieur Arany a accouché, le saviez-vous ? Mais ne me demandez pas le sexe de l'enfant!