Une promenade au parfum
Elle avait commencé comme d’habitude cette promenade équestre. Je n’avais pas l’intention d’innover. On met le tapis de selle, le protège dos en moumoute pour le cheval, la selle, le protège sangle et on serre la sangle autour du ventre. Et puis on n’oublie pas les rênes avec le filet. On attache la sous-gorge et, si on n’est pas étourdi comme moi, on attache aussi la muselière. On met le casque sur la tête, le téléphone et le petit APN dans une des poches du tapis et la longe dans l’autre et nous voilà partis, moi sur le cheval et la chienne à nos côtés, parfois derrière si une odeur l’attire, ce qui est le plus fréquent, parfois devant, frétillante, comme une jeunesse.
Nous prenons la direction de la rivière : il fait déjà si chaud ce matin qu’un peu les pattes dans l’eau ne peut faire que du bien.
En chemin, on aperçoit un drôle d’engin, un truc qui bouge, c’est vert et noir et ça fait pshitt, pshitt. C’est sûrement dangereux ce machin et le cheval fait mine de fuir. Il recule ce con et va me foutre dans la rivière. Je saute à terre, prend les rênes, discute avec lui et lui dit que ce n’est pas méchant, juste un tuyau sur un enrouleur et un gros jet qui arrose la vigne. Il hésite mais finalement me suit non sans m’avoir entraînée dans un demi-tour soudain et juste au moment où on passe à côté, fuit vers l’avant, menaçant de m’écraser tout simplement.
Le danger est passé, je remonte à cheval et nous rentrons dans la rivière où la chienne se précipite pour boire. Le cheval lui, se contente de renifler, sans plus. Mais que vois-je flotter en surface ? De drôles de paquets, on dirait des hérissons crevés et je comprends pourquoi Aramis fait grise mine. En observant mieux, j’en déduis que ce sont des bouts de viande, avec des poils de sanglier. Dégoûtée, je ressors, en pensant que la semaine dernière je m’étais baignée ici. Nous repartons quand, un peu plus loin, mes narines sont agressées par une odeur insupportable que la chienne a aussi, bien entendu, repérée et qu’elle cherche avec ardeur. Le cheval refuse d’avancer, méfiant. Il ne me reste plus qu’à appeler Rubia car c’est le genre de parfum dont elle aime s’enduire, sa sorte de « Channel » N°5.
Nous continuons notre route, enfin tranquilles, le nez dégagé de cette puanteur et je peux laisser ma bête brouter sereinement mais nous sommes agressés par des hordes de moustiques et je décide de fuir. Mais pourquoi y a-t-il tant d'aboiements de chiens dans ce coin d’habitude si calme ? Pour une fois, je ne me cache pas, je reste à découvert, un peu inquiète tout de même. Quelques mètres plus loin, je tombe sur un homme, puis un deuxième, vêtus de gilets orange fluo. Une petite dizaine de chiens entassés dans des cages à l’arrière d’une voiture hurlent de fureur en nous voyant : une chasse aux sangliers. Je viens d’apprendre que les battues sont ouvertes.
Gentiment, ces messieurs me disent de passer et comme d’habitude m’affirment que je n’ai rien à craindre, on ne peut me confondre avec les cochons ! Je trouve qu’ils sont vraiment gentils et délicats !
Au retour, je verrai enfin la cause de cette odeur : une charogne, un sanglier mort au bord de l’autre rive de la rivière. Bien entendu, il n’a sûrement pas été blessé par un chasseur maladroit. Il est juste venu pourrir là, comme par hasard.