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Un certain chêne vert
6 août 2011

C'était mon village

Quand nous avons pénétré dans ce village, mon cœur battait, j’y retrouvais quelque part les sensations que j’y avais laissées il y a 14 ans. Déjà sur la route, je me remémorais les voyages en voiture avec les quatre enfants, le chien à leurs pieds et le chat miaulant plaintivement et poussant parfois des cris aigus d’angoisse dans sa caisse malgré la drogue. Lorsqu’à 109 kilomètres de l’arrivée, attesté par le panneau indiquant Cahors, invariablement, l’un d’eux soulignait le fait qu’il fallait en déduire les 14 kilomètres qui séparaient ce village de Cahors et que donc, par voie de conséquence, il ne restait plus que 95 kilomètres. Plus que deux chiffres au compteur, ça sentait bon la maison. Nous exigions alors qu’ils se taisent impérativement, saoulés de leurs cris et disputes et à 10 kilomètres de l’arrivée, toujours au même endroit, le décompte commençait. Quand l’un était fatigué, un autre reprenait la ritournelle des nombres, observant les bornes sur le bord de la route pour ne pas en louper une. A la vue du lac, c’était des cris de joie et le zéro victorieux : nous étions arrivés. A eux la liberté de courir partout et retrouver leurs copains malgré nos injonctions pour qu’ils acceptent de nous aider. A nous celle de décharger la voiture et de constater qu’il y avait du boulot dans le jardin, entre autres, monter la grosse piscine zodiak qu’il faudrait remplir d’eau toute une nuit.

C’est un village particulier avec deux points stratégiques : le lac et l’église, sans compter les nombreux hameaux souvent abandonnés. Les maisons se distribuent le long de cet axe, séparées par des jardins ou des petits prés autrefois cultivés au cheval (j’ai connu le dernier cheval de labour du coin, mené par le peyrot).

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Photo de 1982 : Le peyrot injurie sa bête à coups de Miladiou et d’un langage incompréhensible fait d’injures de toutes sortes et Madame, derrière, sème à l’ancienne, c'est-à-dire avec « le geste auguste du Semeur ».

Les maisons se tournent souvent le dos. Chacun chez soi, c’est la devise du coin, ne pas savoir ce qui se passe chez le voisin et pourtant je peux vous dire qu’il s’en passait des choses et parfois de tristes choses. Lorsque nous étions arrivés en 1981 avec nos deux petites filles et mon ventre tout rond, nous avions été bien accueillis et ce sont les sabots ferrés d’un cheval tirant une herse métallique sur l’asphalte qui m’avaient réveillée au premier matin. Devant ma porte, un sac plein de haricots verts posé sur les marches. Nous étions les bienvenus et avions le droit de participer à la vie d’ici mais jamais, nous n’avons été invités à un repas privé, ça ne se faisait pas en dehors de la famille. On ne retrouvait les gens du village que lors des fêtes comme la Saint Jean à la fin juin ou la fête des vendanges…

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1983 : concours de pêche à la Saint Jean, fête du village.

Dans ce village, les vieux, bérets sur la tête ou parfois pour les plus modernes, une casquette de paysan, se retrouvaient au bord du lac parlant de leur voix rocailleuse et en patois : une langue d’oc mâtinée d’expressions locales. Même quand ils s’adressaient à nous en français, j’avais souvent du mal à les comprendre, leur accent méridional était poussé à son maximum et certaines expressions m’étaient inconnues.

Nous avons pénétré doucement en voiture, celle immatriculée 83, celle des étrangers qui envahissent le coin l’été. J’aurais voulu leur dire que ce n’était pas vrai, que j’étais un peu des leurs. Nous rencontrions des visages qui se retournaient quelquefois sur notre passage, l’air de dire : « Tiens, qui c’est ceux-là, leurs têtes me disent quelque chose ». Nous aussi nous disions : « Tiens, c’est le père T ou plutôt son fils, lui il est mort depuis longtemps. On dirait pourtant le même, même allure sur le tracteur. Ils viennent de ramasser les oignons ».

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Alors nous sommes descendus de la voiture pour revoir ce que nous avions laissé. D’abord cette grande maison au grand jardin où nous avions résidé en tant que locataire trois ans pleins.

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Octobre 1982

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2011, elle n’a pas changé, sauf la vigne vierge envahissante.

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1984 : Envers de la maison

Puis la petite, celle que nous avions acheté en 1986 après notre déménagement et revendue en 1997. Cette maisonnette de trois pièces où nous passions toute une partie de nos vacances scolaires. Nous voulions voir comment avait poussé ce pin parasol que nous avions planté et qui, subissant en notre absences, à l’époque, quelques fortes tempêtes avait pris une allure penchée. J’ai pénétré dans le jardin. La maison était ouverte, j’ai appelé, personne. Alors j’ai regardé. Elle avait changé cette petite bâtisse, ancienne grangette. Les pierres avaient été remises à nues, les combles aménagés. Elle avait de l’allure ainsi. Mais j’étais fière du toit. Au moins, c’est nous qui l’avions refait à l’ancienne. Le lagerstroemia aux fleurs roses était en pleine forme et encore plus beau qu’avant.

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1997, juste avant de la vendre.   

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2011

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1997

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2011 : Le pin s’est redressé ! On voit aussi que cette année, il a plu !

Un peu plus loin, chez les voisins, j’ai vu le mât, celui qui indique que la personne résidente en ce lieu, fait partie du conseil municipal. Quand c’est le maire, alors les bouteilles qui restent de la fête sont exposées (ou du moins une partie). Charmante coutume !

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1984, dans un village voisin

Vous rappelez-vous cette vieille dame : Madame Emilie et sa maison au cantou toujours allumé, à la saison froide d’un feu de bois qu’elle triturait de sa canne au bout durci par les flammes. Sa maison est modernisée maintenant mais quelqu’un, sans doute sa petite fille, a eu la délicatesse de faire faire cette enseigne en fer forgé au-dessus de la porte de sa cave, presque au bord de la fenêtre où elle s’asseyait souvent, à l’ombre, les soirs d’été chauds ; « La maison d’Emilie » Belle intention et beau souvenir.

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1984 : Madame Emilie

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2011

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1981 : Maison d’Emilie vue du lac. Troupeau de mouton qui passe devant chez elle. Ce sont ceux de Noël, un personnage du coin, mort récemment.

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1992 : Emilie est morte, Noël n’a plus de moutons. Les deux grands sapins sont ceux de la grande maison où nous habitions primitivement.

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La même en 2011 : elle a bien changé, les sapins sont toujours là ;

Nous avons fait le tour du village, assez désert comme d’habitude mis à part quelques touristes marcheurs. A l’église, des arbres ont disparu et le banc de la place au monument au mort est maintenant en plein soleil. J’ai trouvé cette place plus triste qu’avant sans le couvert de la végétation qui l’habillait.

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Eglise Saint Jean Baptiste (la nef date du XIIème) et restes du château du Seigneur de Cardaillac (XIIIème).

Ce village continue à vivre. Nous y avons retrouvé d’anciennes relations si étonnés de nous voir. Dans les bois, des nouvelles demeures, pas toujours très jolies se sont bâties mais heureusement, on ne les voit pas des cœurs du village protégés.

Demain, je repartirai, je refermerai ce chapitre de mon histoire. Peut-être dans 10 ans, j’y reviendrai pour voir encore si mon pin parasol a grandi… 

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Commentaires
F
Je suis émue, revenir sur son passé, <br /> la maison était mieux pas crépie, <br /> et les vélux, pourquoi ont ils disparu ????<br /> Après, c'est très bien raconté, beau texte sentimental, je l'ai dégusté comme je fais avec une pâtisserie, lentement, sans en perdre le moindre parfum, comme un gourmet, (plutôt une gourmette)<br /> j'adore, <br /> Comme un bon vin, ce récit est long en bouche<br /> pudeur, mélancolie, regrets !<br /> le temps qui passe... la campagne, le cheval qui laboure... l'homme qui dit de jurons que j'entendais moi aussi, chez des paysans... lors d'une ancienne vie !<br /> et finalement, je suis triste, avec toi ?<br /> à la retraite tu écris avec photos ?<br /> Oui, je me souviens d'Emilie.<br /> bonsoir
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