La promenade de Bonnard
Tout au fond du parc, à travers la clôture mais bien à l’abri du regard, on distingue un bout du jardin de Bonnard et l’arrière de sa maison aux volets clos. Il ne reste plus qu’à imaginer le peintre dont les yeux s’emplissent un 5 mars de l’éclat jaune du mimosa. Ce jaune qui illumine plusieurs de ses toiles. Ce qu’il voit par la fenêtre de son atelier.
…
Il ne reste plus qu’à le suivre. Le matin, à la fraîche, Bonnard prend toujours le même chemin. Celui qui passe juste derrière sa maison et qui longe le canal de la Siagne qu’on ne voit pas franchement à cet endroit.
Alors, aujourd’hui, je l’ai accompagné et j’ai essayé de me mettre dans sa peau s’il avait pu revenir par ce jour de presque printemps où les petits lys commencent à fleurir.
Où les vues à contre-jour sur le massif de l’Estérel et le port de Cannes ravissent le regard.
Où les palmes des plantes grasses s’étalent comme les multiples doigts d’une main ou mieux encore, comme un soleil vert.
Où les cyprès élégants et phalliques s’allongent vers le ciel et concurrencent les mimosas finissant.
…
Le château d’eau, enfin, sonne presque la fin de la promenade.
Mais, il y a un « mais ». Jusqu’à maintenant, Bonnard est heureux de retrouver tout ce qu’il a laissé, les paysages qui l’ont enchanté et inspiré. Il ne faut pas qu’il voie ce que j’ai vu : des clôtures à n’en plus finir, hérissées de barbelés, transformant ce chemin en couloir fermé, des grilles où hurlaient quelques chiens dissuasifs, de multiples appareils de détection en haut des murs…
… Et puis, à la manière de la parabole du riche et du pauvre Lazard, juste derrière les détecteurs de présence, un pauvre hère dont la maison est de toile et de plastique et le caddie la limite de sa propriété qu’il défend hardiment contre ma chienne entreprenante à son égard. Il n’a pas de matériel pour se défendre, juste sa présence peu rassurante pour me signifier de dégager, ce que je fais illico presto.
…
Ce que Bonnard ne doit pas voir non plus, ce sont les détritus qui parsèment le chemin. Des restes de campement de sans abris. Même les chiens ne dévorent pas cette pourriture.
Et pourtant, la police à moto, passe devant moi, surveillant la richesse cachée. Non, laissons Bonnard où il est. Je préfère porter mon regard plus loin et je m’évade vers cette montagne couverte de neige. Là-bas, c’est ma liberté.