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Un certain chêne vert
5 janvier 2012

La vengeance du lapin

Lorsque le lapin vit arriver l’homme au grand couteau, ceint d’un tablier qui fut blanc mais à l’heure, taché du sang brun de ses victimes, il comprit. Tous les bons soins qui lui avaient été prodigués, les paroles gentilles mais ambiguës du genre : « oh, tu deviens bien gras mon petit, c’est bien, ça ! », n’avaient qu’un but : il allait être mangé, c’était ça la réalité. Alors, juste avant de mourir tandis que des larmes coulaient de ses yeux doux et que les grosses mains le tenaient par les oreilles, ses pauvres oreilles dont il était si fier, il invoqua Belzébuth, celui des lapins. Il n’avait plus rien à perdre et, juste avant de perdre la vie, il lui demanda la malédiction de celui ou celle qui le mangerait.

…………………………………………………………………………………………………………………………………

« Qu’est-ce qu’on fait à manger ? » Lui demanda-t-elle un beau samedi matin d'hiver ensoleillé car, c’est vrai que dans le Midi, il y a presque toujours du soleil !

« Pourquoi pas un lapin à la moutarde ? » lui répondit-il, « Tu le fais si bien ».

Elle descendit la rue en pente, celle qu’il lui faudrait remonter plus doucement, en traînant le chariot plein de vivres et choisit le plus beau des lapins exposés en rayon et que le boucher découpa en morceaux. La tête de l’animal était cachée dans un papier alu et fut jeté à la poubelle. Elle ne put voir les yeux vitreux de cette pauvre bête sacrifiée aux humains ; peut-être eut-elle hésité alors. Elle paya, sortit du magasin et regagna son logis, pestant contre cette côte qui lui brisait le dos et les jambes à chaque fois.

Dès son retour, elle se lança dans sa recette, écoutant distraitement le bla-bla de la radio qu’on avait oublié d’éteindre  : elle fit revenir chaque morceau dans le beurre additionné d’huile d’olive, y ajouta quelques échalotes, elle aimait bien les échalotes, plus que les oignons, puis badigeonna tout ça de moutarde, de sel, de poivre et d’herbes et laissa mijoter le tout avec un peu de vin blanc coupé d’eau au coin du fourneau, un de ces vieux fourneaux en fonte qui ont le secret de la bonne chair. Sans plus s’occuper de sa cuisine, elle termina son bout de ménage, comme elle le faisait tous les jours, disputant rituellement son mari qui laissait évidemment tout traîner et c’était d’éternels reproches, les mêmes tout le long de l’année, une habitude en quelque sorte.

De son côté, il mit le couvert et ils passèrent enfin à table, les papilles ouvertes à la bonne odeur que dégageait la cocotte. Il versa un peu de vin blanc dans les verres et elle, sans quitter son tablier rouge, remplit les deux assiettes d’un beau morceau qu’accompagnaient les pommes de terre rajoutées en fin de cuisson et toutes imprégnées de la sauce qu’elle avait pris soin d’épaissir d’un peu de farine.

La chair était parfaite, elle se détachait facilement de l’os et ils conclurent une fois de plus que c’était vraiment un bon lapin et qu’ils avaient la chance d’avoir un boucher si compétent. Après avoir bu une gorgée de vin, qu’elle apprécia en claquant de la langue, elle porta sa fourchette à la bouche : un peu de lapin et un bout de patate. Ses dents commencèrent leur travail de mastication mais elle s’arrêta net et retint un hurlement ! Une douleur horrible venait de traverser sa mâchoire. Une de ces douleurs incompréhensible qui se propagea comme une onde maléfique à toutes les dents. Elle porta la main à sa bouche tandis que les larmes montaient à ses yeux : la douleur était si forte. Il fut étonné  et lui dit d’attendre, que ça allait sûrement passer. Elle enfila ses doigts au fond de la joue, jusqu’à la dernière dent et en sortit un petit os. C’était lui le responsable qu’elle venait de mâcher avec tant de violence.

Elle ne put finir son repas mais malgré tout, la douleur diminua doucement et elle pensa que finalement ce n’était pas bien grave.

Elle avait tort, les repas suivants ne furent que des supplices et les jours et les nuits passants, il fallut se rendre à l’évidence d’aller consulter le dentiste !

« Et oui, ma pauvre dame, votre dent est malheureusement cassée, je vais vous l’extraire, il n’y a pas d’autre solution. Il faudra juste prévoir quelque chose pour éviter que la dent d’en haut ne tombe à son tour, faute d’antagonisme et ne fragilise l’équilibre des autres. On se revoit dans six mois ! »

(Fin de la première partie).

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Commentaires
P
Suivi le lien chez Demaho, venue lire l'histoire. <br /> <br /> Je me demande si le lapin est compatible avec le régime ? ;)<br /> <br /> Mais surtout je veux la suite ! :)
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D
Lapoupou a détesté la première partie de ton histoire , comme il déteste depuis la moutarde , mais en revanche j'ai vu briller un éclat inquiétant dans son regard pour la deuxième partie de l'histoire ....brrrrr ;)
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M
joliment écrit.<br /> <br /> Mon père élevait des lapins pour les manger, je ne peux plus du tout en avaler... J'en fait une phobie !!!!!
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F
les légumes bouillis, tu ne crois pas si bien dire...<br /> <br /> enfin, à la vapeur...
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A
Oh la la, c'est terrible ton histoire de dent cassée ! Je suppose une suite, effectivement.<br /> <br /> Françoise, merci de tes conseils, je vais en faire des cauchemars. Vive les légumes bouillis.
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Un certain chêne vert
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