St Jacques: Des gens
Que fait-on dans un pèlerinage ? On marche, parfois en souffrant du poids du sac et des ampoules aux pieds qu’on essaye de soigner très vite pour ne pas qu’elles deviennent un vrai handicap. Bien sûr, on prie pour qui veut le faire et surtout, on rencontre des gens.
D’abord, c’est soi-même qu’on rencontre, on a le temps de penser. A part quelques exceptions, j’ai toujours évité de marcher aux côtés des autres, je n’aime pas les papotages, ils ne m’intéressent guère et m’empêchent d’écouter ou de voir la nature : les oiseaux, un peu moins nombreux à chanter en ce mois d’août, les bébés sont presque élevés, les montagnes et les couleurs qui défilent devant mes yeux au rythme lent de mes pas. A quoi pense-t-on quand on est seul ? Quelquefois à une personne particulière, de temps en temps l’esprit divague et c’est agréable, certains méditent sur un sujet précis, d’autres chantent ou jouent de l’harmonica pour se donner du courage et les pas s’alignent les uns après les autres. Parfois on se dit : « Tiens, on est déjà là ? » (Quand on est optimiste) ou alors « On est encore que là ! » (Quand le découragement nous gagne, que les muscles tirent ou qu’on a mal aux petons).
Il y a donc de tout sur le chemin et toutes les nationalités : des groupes, en voyage plus ou moins organisé et dont les sacs sont pris en charge par l’organisme dont ils dépendent. Ils parlent trop et je les évite le plus possible ; quelques illuminés en tenues simili marocaines au-dessus de leurs vêtements européens. Ceux-là, ne mangent que du riz et du corned-beef (!!!), sorte de pénitence un peu particulière ; des jeunes portant drapeaux assez provocateur, à la tendance religieuse plutôt extrémiste ; des parisiens qui font un petit retour à la nature et découvrent que le monde paysan n’est pas une grande étable propre et fraîche et qui achètent les fromages au gré de leurs haltes, persuadés, non sans raison, que ce sont les meilleurs fromages du monde, les plus véridiques, les plus proches du naturel qu’ils recherchent ; des couples avec bébés qui ne marcheront que trois ou quatre jours : celui que j’ai rencontré était très bien organisé et le bébé ne semblait nullement souffrir dans le dos de sa maman, pendant que le papa portait les charges ; puis quelques religieux et j’ai fait un bout de chemin avec l’un d’eux. Lui, recherchait la simplicité, dormait parfois seul dans une grange. Le pauvre, il a eu tellement mal aux pieds à cause de mauvaises chaussures qu’il a failli renoncer. Heureusement une petite ville lui a permis de les remplacer et l’optimisme est revenu.
Et puis il y a la promiscuité des gîtes où tout le monde se retrouve. Certaines soirées sont brèves, tout le monde est fatigué mais de temps en temps, on prolonge l’heure du dîner par des chants accompagnés d’une guitare qu’un jeune compositeur traîne avec lui, heureuse idée. Ce soir-là, notre hôtesse nous a avoué que c’était une de ses meilleures soirées de l’année, son gîte avait été mis en pagaille la veille par une bande de malpropres et elle était complètement découragée. Pourtant, je vous assure que son aligot est célèbre dans toute la région !
Enfin, il y a les gens croisés, ceux pour qui on s’arrête le temps d’une petite causette, comme cette vieille dame qui ne veut pas quitter sa maison, celle de ses parents et où, elle-même a élevé ses enfants, belle maison bien entretenue, datant des années 1850. Je rencontre cette dame dans son jardinet potager, elle vient de cueillir une salade et d’arracher quelques mauvaises herbes, tandis que je photographiais sa ferme. Elle me raconte que le hameau où la route goudronnée s’arrête n’a presque plus d’habitants : trois personnes en tout vivent encore là et même son fils quitte l’agriculture pour s’installer à la ville, elle ne veut pas le suivre.
Il y a aussi le vieux monsieur qui m’a ramenée au départ de l’étape dans sa fourgonnette bourrée de balles de foin parce que je m’étais trompé de route et qui m’a raconté des histoires de canards morts de froid pendant l’hiver, histoire que j’ai eu du mal à comprendre, il parlait à moitié patois !
Je ne voudrais pas oublier non plus cette amie et son mari, venus m’encourager et dont la confiture a accompagné mes repas de midi, friandise étalée sur des petits gâteaux secs, un régal !
Et d’autres comme cette allemande qui parlait un bon français et m’a fait oublier que mon sac était bien trop lourd.